La Croix : L’affaire Wikileaks expliquée par des complicités idéologiques

© La Croix, le 30 Novembre 2010

ENTRETIEN :
L'affaire WikiLeaks révèle- t-elle un dysfonctionnement de la diplomatie
américaine ?

Guillaume Dasquié : Il est évident que si cette association parvient à « sortir
» de telles masses de documents, c'est grâce à des complicités idéologiques au
sein de l'administration américaine. Il y a aujourd'hui parmi les diplomates et
des cadres du département de la défense une vraie mobilisation pour accroître la
transparence, et pour que la diplomatie américaine soit plus en phase avec ses
discours. Cette affaire n'est rendue possible que par une transformation en
profondeur de la société. Les jeunes nés après les années 1985, appelés
les digital natives (NDLR : littéralement, les indigènes du
numérique), ont, chevillée au corps, une culture de l'ouverture. Dans les
organisations chargées de gérer des secrets, et donc de l'information fermée,
ils sont confrontés à ce qu'ils estiment être des contradictions existentielles.
Un type de 25 ans, dans ce genre d'administration, se retrouve dans le paradoxe
d'être un pur produit de la société de l'information et des sources ouvertes et
de devoir passer son temps à verrouiller l'information.

La nouvelle méthode consiste- t-elle à prendre l'opinion publique à témoin ?

Oui, mais de façon assez relative. L'expérience montre que les effets d'annonce
de WikiLeaks sont à nuancer. Lors des précédentes diffusions, en juillet
dernier, on avait parlé de 90 000 « rapports » révélés au public. En réalité, il
s'est agi de 77 000 pages, parfois réduites à quelques lignes. De plus, ce qui
est mis en ligne est rarement ce qu'il y a de plus significatif. En tout cas
jusqu'à présent.

Des personnes sont-elles réellement mises en danger par les révélations de
WikiLeaks ?

Cette défense de l'administration américaine semble un peu caricaturale. Dans
les documents que j'ai pu consulter, les éléments très précis se rapportant à
des sources de la diplomatie américaine avaient été gommés.

L'association veut-elle peser sur les États-Unis ?

WikiLeaks dit ne pas vouloir rendre publiques des informations trop stratégiques
pour la sécurité américaine, mais toute sa communication vise justement à braver
ce principe. Julian Assange, l'animateur de WikiLeaks, n'a jamais caché sa
démarche militante qui vise à faire évoluer les moeurs politiques en rendant
transparent, ou en menaçant de transparence, tout ce qui peut, selon lui, être
pervers dans la politique étrangère des États-Unis. Dans ce bras de fer, la
guerre en Irak agit comme un point de crispation. Pour certains militants
américains, elle est la démonstration ultime de l'hypocrisie de la diplomatie
américaine.

Vous évoquez des effets positifs. Quels sont-ils ?

Les États se drapent dans le secret et les dispositifs garantissant le secret
pour développer des relations internationales illicites. C'est le cas, par
exemple, quand on vend des armes à des pays auxquels on ne devrait pas en
vendre. Le fait que l'activité secrète des États soit susceptible d'être rendue
publique incite, je pense, les dirigeants à plus de prudence.