Le Monde : Jean-Charles Brisard, expert insaisissable

Le Monde : Jean-Charles Brisard, expert insaisissable

Cet article est paru dans Le Monde du 23 mars 2012

Il s'est invité dans l'affaire de Karachi, un peu par effraction. Consultant
international, spécialisé dans le terrorisme et l'intelligence économique, basé en Suisse, le Français Jean-Charles Brisard, 43 ans, fait partie de ces
 personnages insaisissables que l'on voit souvent apparaître au détour des 
dossiers sensibles, sans que l'on sache précisément quels intérêts ils 
représentent ni quelle fiabilité on peut leur accorder. Celle de M. Brisard paraît de plus en plus sujette à caution.

Cet ancien 
assistant parlementaire de l'ex-député (UMP) Alain Marsaud a fait son apparition dans le volet financier de l'affaire de Karachi en octobre 2011. A sa demande, il est alors entendu par les policiers de la Division nationale des investigations financières et fiscales (Dniff) qui enquêtent, sous la conduite des juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, sur un éventuel financement occulte de la campagne présidentielle de 1995 d'Edouard Balladur, notamment via des contrats d'armement. Cette campagne, M. Brisard l'a vécue de l'intérieur : alors âgé de 23 ans, il
 était responsable des comités de soutien au sein de la cellule jeunes
 d'Edouard Balladur.

C'est à ce titre qu'il narre aux policiers ébahis, ce 13
 octobre 2011, une anecdote incroyable. Selon lui, un certain Akim Rouichi,
 militant associatif de Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), serait venu le trouver, « fin mars-début avril 1995 » afin de lui proposer des informations « qui concernaient les méthodes employées contre - les balladuriens - par les
chiraquiens dans le cadre de la campagne présidentielle. » En l'occurrence, le
mystérieux visiteur aurait fait écouter à son interlocuteur le contenu d'écoutes téléphoniques sauvages ayant notamment visé le ministre de la défense François Léotard, l'homme-clé des contrats d'armement et soutien de poids au candidat Balladur. L'affaire en est toutefois restée là, Akim Rouichi, qui avait gardé ses enregistrements, ayant été retrouvé pendu l'année suivante...

Tout aussi curieux, ce procès-verbal de renseignement établi le 18 octobre 2011 par la Dniff, faisant état de confidences livrées par M. Brisard à propos de Jean-François Copé et de sa soeur (dont le consultant est proche). M. Copé, à l'en croire, aurait utilisé un compte ouvert en Suisse par Isabelle Copé afin de s'en servir de « compte de passage » et aurait touché « de l'argent liquide » de l'intermédiaire Ziad Takieddine « pour l'achat et la rénovation » d'un appartement. Mais, peu après la publication de ces informations dans Le Journal du dimanche (vivement démenties par M. Copé), M. Brisard se rétractait dans Paris Match, accusant les policiers - qui n'ont guère apprécié - d'avoir déformé ses propos...

L'homme n'en est pas à un revirement près. Le 13 octobre 2011, il remet aussi aux enquêteurs un curieux mémo : quelques mots rédigés fin 2006 dans un style télégraphique dont le site Mediapart, qui l'a publié le 12 mars, a déduit que le régime de Mouammar Kadhafi aurait, via M. Takieddine, financé une partie de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Las, une fois encore, M. Brisard a violemment démenti. Il a écrit au site Internet pour dénoncer « une manipulation grossière d'un document - au demeurant fabriqué de toutes pièces - afin de détourner la nature et la valeur d'éléments extraits d'une de mes notes personnelles, et ce à des fins purement politiques et malveillantes en pleine période électorale. » Manifestement furieux, le consultant dénonce dans ce droit de réponse une « pure affabulation journalistique. »

Avec Jean-Charles Brisard - qui n'a pas souhaité répondre aux questions du Monde -, démêler le vrai du faux relève de la gageure. Le journaliste Guillaume Dasquié, qui a publié avec M. Brisard en 2002 un livre sur Oussama Ben Laden (La Vérité interdite, éd. Denoël), et aujourd'hui brouillé avec lui, confie : « J'ai connu quelques tracas pour avoir travaillé avec Jean-Charles Brisard, notamment en tentant de corriger diverses accusations à la légère qu'il lançait dès 2001, et qui relevaient d'une lecture fantasmée de la réalité. Mais j'en ai gagné la compréhension d'un personnage intéressant, sorte de second rôle ingrat des affaires d'espionnage. Un garçon fragile, soucieux de plaire aux services secrets, pour lesquels il rédige quantité de notes où rumeurs grossières et informations s'entremêlent, et qui ne rechigne pas à réaliser pour eux de sales besognes. Trop content que son monde de fantasmes soit pris en considération par ce monde de manipulateurs. »

Le chroniqueur et éditeur Guy Birenbaum, qui publia La Vérité interdite, n'a pas conservé un meilleur souvenir de M. Brisard. Dans une attestation écrite remise à M. Dasquié le 19 février 2010, il explique que la partie de l'ouvrage rédigée par M. Brisard comportait un plagiat et de nombreuses approximations. Évoquant les plaintes en diffamation déposées contre le livre, M. Birenbaum assure qu'elles furent intentées en raison « d'erreurs sur des noms propres ou d'homonymies malheureuses, sans parler des établissements mis en cause à tort » par M. Brisard. « Je reste, après toutes ces années, ajoutait-il, avec un goût amer en bouche à propos de JCB dont j'ai du mal à saisir la crédibilité, l'identité (enquêteur ou lobbyiste, agent d'influence ou agent tout court, etc.) et l'honnêteté intellectuelle. »

Jean-Charles Brisard, fait chevalier de l'ordre national du Mérite le 15 
novembre 2008 sur le contingent du ministère de l'intérieur, roulerait-il en
fait pour les services ? Contre toute attente, il l'a lui-même affirmé le 28 
février, dans le bureau du juge Trévidic, au cours d'une confrontation 
l'opposant à son ancien partenaire, M. Dasquié. Les deux hommes sont poursuivis (M. Brisard a été mis en examen au terme de cette confrontation) pour avoir détenu des notes de la DGSE couvertes par le secret-défense - dont certains extraits furent publiés dans Le Monde, en avril 2007, sous la signature de M. Dasquié. Jusque-là, rien d'extraordinaire. Sauf qu'en réponse aux questions du juge sur les conditions dans lesquelles il récupéra des documents confidentiels sur Oussama ben Laden, M. Brisard a affirmé ingénument qu'il agissait en fait pour le compte du... contre-espionnage français, la DST - puis la DCRI qui lui a succédé.

S'agissant d'un cédérom contenant des notes de la DGSE que lui avait remis M. Dasquié mi-2007, il déclare ainsi : « J'en ai pris possession pour le remettre
 quasiment immédiatement à la DST." Il confirme encore avoir tenté d'identifier les sources de M. Dasquié "à la demande de la DCRI ». « La DCRI était parfaitement informée de la démarche de M. Brisard » a renchéri devant le juge Me Lef Forster, l'avocat de ce drôle de consultant...

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