Soupçons autour du groupe Bolloré au Cameroun

[Cette enquête a été initialement publiée dans Libération datée du 17 octobre 2008]

L’homme d’affaires Jacques Dupuydauby, jadis collaborateur de Francis Bouygues, incite fortement la justice du Cameroun à enquêter sur le groupe Bolloré. Dernière initiative : ce mercredi 15 octobre, son entourage a diffusé depuis la capitale, Yaoundé, des «informations» selon lesquelles un juge d’instruction de Douala (ville portuaire du sud-ouest) aurait délivré une demande de convocation visant Vincent Bolloré lui-même. Une fuite aux allures d’intox. Interrogé hier par Libération, le procureur de la République du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo a démenti l’existence d’un tel acte de procédure.

Favoritisme. Dupuydauby, aujourd’hui président de Progosa, société de taille modeste, tente de disputer à Vincent Bolloré la gestion d’installations portuaires en Afrique. En particulier celle du terminal à conteneurs de Douala, un site crucial pour le Cameroun. Sa gestion en a été confiée en juin 2004 au consortium DIT (Douala International Terminal), dans lequel opère Bolloré, au grand dam de Dupuydauby. Le 13 novembre 2006, il a déposé plainte pour corruption et favoritisme. Selon lui, la procédure au terme de laquelle DIT a remporté d’appel d’offres aurait été truquée. Le dossier a été confié au juge d’instruction Ibrahima Abba. Qui a signé une demande, le 8 septembre, pour entendre comme témoins cinq dirigeants du groupe Bolloré, dont Michel Roussin, ancien ministre de la Coopération de Balladur. Libération a pris connaissance de ce document. Un acte de procédure cette fois confirmé par le procureur de la République de Douala. Il nous a précisé que, le 24 septembre, il l’avait fait suivre vers les services du ministère camerounais de la Justice. Lesquels apprécieront s’il convient de transmettre ces requêtes à Paris, pour les remettre aux dirigeants français. Pour Olivier Baratelli, avocat à Paris du groupe Bolloré, il «paraîtrait normal qu’il y ait des convocations comme témoins […]. Pour le moment, on me dit qu’il n’y a rien».

Sur place, le dossier fait grand bruit. Au Cameroun, le groupe Bolloré n’est pas une entreprise comme les autres. Transport ferroviaire, logistique des oléoducs, installation portuaire, plantations : la multinationale structure la vie économique du pays. C’est aussi le premier employeur étranger du Cameroun. Dans les étages de la tour Bolloré, près de Paris, Gilles Alix, directeur général, assume : «On est un peu indispensables dans le tissu économique camerounais.» Dans ce contexte d’hégémonie, des pratiques irrégulières auraient-elles pu permettre à Bolloré de remporter le marché du terminal de Douala ? Les responsables que nous avons rencontrés le démentent avec force. Cependant, c’est bien l’enjeu des investigations du juge Ibrahima Abba que de le vérifier.

Pour se forger une opinion, les enquêteurs se sont d’abord penchés sur des échanges de courriers du printemps 2004. Le consortium où intervient Bolloré venait alors d’être retenu. D’ultimes négociations se déroulaient sur les clauses financières de ce marché public. Mais la Banque mondiale, qui conditionne ses aides au Cameroun à la mise en place de règles de transparence, avait exprimé son mécontentement. Par au moins deux courriers, des 24 mars et 9 avril 2004. On y lit : «Le contenu de cette convention semble donc aller à l’encontre tant des intérêts économiques du pays quant à son objectif de compétitivité que de ceux des chargeurs et des opérateurs camerounais […]. La Banque mondiale estime que la convention proposée à l’issue des négociations ne peut être jugée satisfaisante.» De nouvelles discussions avaient abouti à la signature de la convention, le 25 juin 2004. Mais, en février 2006, une vaste affaire de corruption déconsidérait l’environnement économique du port de Douala.

Scandale. L’ancien directeur général du port, Siyam Siewe, était reconnu coupable de détournement de fonds publics, pour près de 58 millions d’euros. Un scandale national. L’homme n’entretenait aucune relation économique directe avec DIT. Même si, selon la direction générale du groupe Bolloré, Siyam Siewe a été au quotidien «un acteur important» et un «interlocuteur indispensable». De quoi probablement fonder la volonté d’Ibrahima Abba d’en savoir plus sur la nature des relations tissées à Douala par les dirigeants français.

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