© Le Monde, le 26 juillet 2002.
Deux journalistes renversent la thèse selon
laquelle aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone.
Retraite en bon ordre: c'est le mouvement implicite de l'ouvrage de Thierry
Meyssan, auteur de la thèse selon laquelle aucun avion ne s'est écrasé sur le
Pentagone le 11 septembre 2001. Exprimée dans un livre fantaisiste qui connut un
impressionnant succès public, L'Effroyable Imposture (éd. Carnot), la thèse
s'élaborait sur la base de vraisemblances, en écartant les témoignages visuels
de l'attentat. C'est leur rejet qu'ont pointé les contre-enquêtes du Monde, puis
de Libération et Paris Match notamment, montrant que de solides témoignages
attestent du choc de l'aéronef. Dans Le Pentagate, Thierry Meyssan s'y intéresse
enfin, et tente d'imposer une version raffinée de sa thèse - ce serait un
missile renforcé à l'uranium appauvri qui aurait atteint le Pentagone...
Le problème, avec ce genre de lascar, écrivent Jean Guisnel et Guillaume
Dasquié, c'est qu'ils ont généralement une capacité assez stupéfiante à vous
assommer sous un déluge d'informations enchaînées et toutes plus fausses les
unes que les autres, qu'il devient rapidement impossible de contrer, sauf à les
prendre une à une et les décortiquer. Il s'agit donc de trouver l'équilibre
entre la discussion de la thèse, qu'il n'y a pas lieu de refuser a priori, et le
refus de s'engluer dans la rhétorique inextinguible de la paranoïa
conspirationniste. C'est en gros ce que réussissent à faire Guisnel et Dasquié,
l'un journaliste au Point, l'autre à Intelligence OnLine, un journal spécialisé
en géopolitique. Ils confortent deux points essentiels: la validité des
témoignages visuels de l'attentat, et la possibilité technique de celui-ci.
Les auteurs ont retrouvé et directement approché nombre de témoins, qui leur ont
redit ce qu'ils avaient vu: l'arrivée de l'avion de ligne, sa chute sur le
Pentagone. Dasquié et Guisnel précisent, en recourant à un spécialiste de
l'accidentologie aéronautique, la façon dont le choc de l'avion a pu produire
les destructions particulières du Pentagone.
La question échappe ici au sens commun, et relève de l'expertise. Mais, en
l'absence des données précises détenues par les autorités judiciaires
américaines, on ne peut que reconstituer un scénario physique d'accident. Il
serait du plus haut intérêt que soient rendues publiques les données officielles
ou l'analyse de cet accident, soit au terme de l'enquête judiciaire menée aux
Etats-Unis, soit par une commission d'enquête du Congrès réclamée par plusieurs
élus démocrates.
Les deux journalistes éclairent par ailleurs utilement les accointances et
relations de Thierry Meyssan, observant une proximité étonnante entre sesù
thèses et celles de conspirationnistes d'extrême droite, et montrant que sur
bien des points il a copié ou puisé son inspiration dans ces réseaux
conspirationnistes qui prolifèrent outre- Atlantique. Il reste à en comprendre
le succès.
Ces théories diffusées sans raison ni contrôle ont d'autant plus de succès
qu'elles se nourrissent des failles et faiblesses de la démocratie française,
écrivent Guisnel et Dasquié: nombre d'observateurs l'ont remarqué à juste titre,
la percée de Le Pen au premier tour des élections présidentielles du printemps
2002 s'explique largement par le mépris du peuple et l'opacité dont s'accommode
trop volontiers une partie des élites quelle que soit leur couleur politique (et
cela est encore plus vrai, bien sûr, aux Etats-Unis, devenus de ce fait le
paradis des conspirationnistes).