Dîner chez l’archiduchesse

Dîner chez l’archiduchesse

L'article ci-dessous a été initialement mis en ligne ici, sur le site du Journal du Dimanche, le 11 juillet 2019.

Le ministre de l'Ecologie, François de Rugy, est accusé par Mediapart d'avoir organisé "de somptueuses agapes entre amis dignes de grands dîners d'Etat" à l'hôtel de Lassay quand il était président de l'Assemblée nationale. Photos à l'appui, le site évoque notamment homard, champagne et grands crus. Présent à deux dîners de ce genre, le reporter et auteur Guillaume Dasquié, qui a signé plusieurs enquêtes dans le JDD, raconte : 


"Evidemment, la narration offre les atours d'un roman sensationnel. Marie-Antoinette et le président de l'Assemblée Nationale auraient organisé des dîners, à l'ambiance versaillaise, pour faire bombance avec des amis proches sur le dos de la République. Peut-être. Je ne suis pas certain.
Témoin de deux de ces repas, j'en garde un souvenir bien différent. En fait d'archiduchesse, j'y ai surtout vu une femme amoureuse, Séverine de Rugy, partager son carnet d'adresses dans le dessein d'enrichir les points de vue de son mari sur des sujets d'intérêt général, et d'étendre son réseau. Un couple politique en somme.

À titre personnel, si parfois nos opinions divergent, je l'apprécie. C'est l'une des femmes les plus férues de littérature et drôles que j'ai côtoyée. Notre rencontre date d'une quinzaine d'années et je la vois avec plaisir deux trois fois par an, sans appartenir toutefois au cercle de ses intimes. Quand nous ne discutons pas de littérature, nous parlons de sujets politiques dont mes expériences m'ont permis de mesurer l'importance ; notamment les succès du djihadisme d'inspiration salafiste, et le piètre contrôle parlementaire des services de renseignement. Alors que notre époque, sous l'empire de Vigipirate, a considérablement augmenté les moyens légaux et techniques de ces derniers, leur contrôle par l'Assemblée nationale dépend de députés souvent mal informés, conciliants, et entretenant parfois une relation admirative avec ces institutions.

À ce titre, je ne regrette pas qu'elle m'ait convié à deux dîners, au cours desquels j'ai pu échanger librement sur ces sujets avec le président de l'Assemblée nationale, de mémoire à l'automne 2017 et au printemps 2018 alors que je revenais d'un mois en Irak.

La plupart des invités ne n'ont pas paru témoigner une plus grande proximité avec le couple, au contraire - pas d'embrassade sur les joues de François de Rugy, peu de tutoiements, des discussions sérieuses pour l'essentiel. A ma connaissance, étaient présents à ces dîners un rédacteur en chef de L'Obs, un directeur d'un musée d'art moderne, un économiste, un auteur de bandes dessinées ou encore un grand reporter du journal Le Monde à l'origine d'un travail remarqué sur les banlieues. Pour en avoir une idée précise, l'enquêteur irréprochable questionnera la sûreté de l'Assemblée nationale, qui consigne les noms des visiteurs de l'hôtel de Lassay, à leur arrivée et à leur départ.

Quant au dîner, je ne me souviens pas du contenu de l'assiette. Sans faire injure aux équipes de l'Assemblée, je me rappelle une cuisine élégante sans être somptueuse. Mais j'imagine que les bureaux de l'économat ont archivé ces informations - puisqu'ils publient leurs dépenses annuelles, ils en conservent forcément les détails.

Au-delà des éléments que j'ai pu observer, je demeure prudent. J'ignore qui étaient tous les invités de la dizaine de repas évoquée et les plats qui leur ont été servis. Tout en restant à bonne distance des jugements expéditifs."

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