Les « varités » du 11 septembre

Jacques Lacan se gardait à ce point de la vérité, qu’il lui préférait la varité, néologisme produit du croisement entre vérité et variation. Parce que les vérités, surtout les plus définitives, les plus assurées, varient autant que les Hommes. Et ce mouvement-là s’applique autant au registre de l’intime, qu’aux événements historiques autour desquels des sociétés s’identifient.

Le 11 septembre n’échappe pas au phénomène. En dix ans, il a lui aussi connu ses varités. Qu’on songe aux multiples théories conspirationnistes, forcément évolutives pour coïncider avec la moindre parcelle de réalité factuelle qui, à intervalles réguliers, était défrichée.

Force narrative d'une légende

Ces théories doivent leur succès à des dynamiques désormais bien connues. Elles s’expliquent par le manque de transparence de l’administration américaine, autant que par la force narrative d’une légende bien écrite construite par des idéologues – plein de bonne foi la plupart du temps ; l’un et l’autre s’alimentent. Puisqu’au lendemain de ces attaques, la Maison Blanche entreprit de mener des guerres et coupa court à l’instruction judiciaire sur cet acte criminel qui aurait dû aboutir à un procès pénal, avec confrontation des preuves et des témoignages. Tandis que la portée politique du même acte criminel conduisait bon nombre de citoyens à instruire par eux-mêmes ce procès ajourné.

Dix ans plus tard, ces varités sur le 11 septembre ont perdu de leur souffle. Les variations interviennent désormais à la marge, avec une amplitude désormais conforme à nombre d’événements de l’histoire contemporaine, dont la connaissance n’évolue plus que par touches légères.

Car la mémoire factuelle de ces événements s’est progressivement ouverte. En particulier lors de la publication du rapport d’enquête du Congrès américain au mois de juillet 2004. Ne laissant de côté que quelques pièces spécifiques, que les historiens apprécieront. Tel par exemple, un document du FBI dévoilé par OWNI qui synthétise l’ensemble des déplacements et des activités des 19 pirates dans les mois qui ont précédé le 11 septembre. Ce rapport de 198 pages, consacré aux cheminements des 19 membres d’Al-Qaeda, répertorie avec minutie quantité d’opérations bancaires, d’appels téléphoniques et de passages de frontières, listés dans la perspective d’un procès qui n’a jamais eu lieu.

Longtemps après les premiers cris lancés par les conspirationnistes, dès le mois de janvier 2002, l’immense majorité des pièces relatives au 11 septembre a été mise à disposition de la communauté des chercheurs. Par des voies certes un peu contraignantes. Le 8 janvier 2009, la commission d’enquête du Congrès américain a transmis aux archives nationales l’intégralité des témoignages, rapports des services secrets ou confidences à huis clos recueillies par les parlementaires lors de leurs travaux. Le premier lot comprenait quatre mètres cubes de documents, progressivement rangés dans les rayonnages des Archives fédérales, dans la banlieue de Washington.

Sur le site web des Archives nationales, les chercheurs peuvent ainsi sélectionner les classeurs et les cartons de documents qu’ils souhaitent examiner en consultation. À titre d’exemple, toutes les notes de la CIA consacrées aux mouvements islamistes et à Al-Qaeda sur une période allant de 1986 à 2004 peuvent être commandées ici.

D’ores et déjà, quelques auteurs se sont emparés de cette matière et proposent maintenant des versions plus complètes encore que le rapport du Congrès américain de 2004. C’est le cas d’Anthony Summers et de Robbyn Swan qui viennent de publier en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis l’une des sommes les plus sérieuses sur le 11 septembre (The Eleventh day, Ballantine Books). Énième varité destinée à mieux prendre position vis-à-vis de cette réalité.


Cet article a été initialement publié ici, sur owni.fr, le 10 septembre 2011.