Le Monde : L’ancien directeur-adjoint de la DGSE, victime collatérale de l’affaire Dasquié

© Le Monde, le 29 janvier 2008

Les avocats de Guillaume Dasquié, le journaliste indépendant mis en examen le 7
décembre 2007 pour " détention et diffusion de documents ayant le caractère d'un
secret de la défense nationale ", ont déposé jeudi 24 janvier une requête en
annulation de la procédure devant la chambre d'instruction de la cour d'appel de
Paris, au nom du droit à la protection des sources journalistiques.

Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, avait porté plainte le 19
avril 2007 pour " compromission du secret-défense " après la publication deux
jours plus tôt dans Le Monde de notes de la direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE) sur les projets de détournements d'avions aux Etats-Unis avant
le 11 septembre 2001. Le journaliste est aussi poursuivi pour avoir publié sur
son site geopolitique.com une note du même service sur les ressources
financières d'Oussama Ben Laden.

Le dossier pénal, instruit par le juge Philippe Coirre, est composé pour
l'essentiel de réquisitions aux opérateurs téléphoniques pour identifier les
appels du journaliste. Guillaume Dasquié a raconté sa garde à vue (Le Monde du
27 décembre 2007) à la direction de la surveillance du territoire (DST), les 5
et 6 décembre 2007.

Un autre homme était entendu en même temps que lui : Philippe Hayez, ancien
directeur adjoint du renseignement de la DGSE, aujourd'hui conseiller maître à
la Cour des comptes. Les enquêteurs le soupçonnaient d'être la source du
journaliste.

En fait, en accord avec Le Monde, Guillaume Dasquié avait cherché à faire
valider ses documents auprès de cadres de la DGSE, avant de les soumettre au
propre chef de cabinet du directeur des services secrets. Il avait ainsi
rencontré Philippe Hayez, dans un café de l'Alma, à Paris, à la fin du mois de
mars 2007. M. Hayez avait pris soin de ne pas lui dire grand-chose, et le haut
fonctionnaire n'avait pas été cité dans l'article. " C'est parce qu'il n'avait
pas été cité, contrairement à d'autres, explique Guillaume Dasquié, qu'ils ont
cru que c'était ma source. "

Reste que la DST a découvert en perquisition chez M. Hayez des valises de
documents classés de la DGSE, sur lesquels il avait eu à travailler et qu'il
avait conservés. Mis hors de cause dans l'affaire Dasquié, M. Hayez a été mis en
examen pour détention de documents classifiés.

Guillaume Dasquié a, lui, passé vingt-sept heures en garde à vue. Les
procès-verbaux sont si maigres qu'il faut bien admettre que les policiers et le
prévenu ont eu de longs échanges informels.

M. Dasquié a très vite invoqué l'article 109 du code de procédure pénale qui
autorise les journalistes à ne pas citer leurs sources. Les policiers n'en ont
tenu aucun compte : la protection des sources couvre les journalistes témoins.
Or M. Dasquié était entendu comme prévenu.

Les notes de la DGSE, rangées dans le classeur saisi lors de la perquisition
chez le journaliste, ont été diffusées, selon les enquêteurs, à 31 exemplaires.
M. Dasquié se défend de les avoir publiées sans précautions.

Au second jour de garde à vue, le 6 décembre 2007 vers midi, Gilles Gray,
sous-directeur de la DST, vient, selon le journaliste, discuter avec lui -
l'entretien n'apparaît pas en procédure. M. Dasquié assure qu'ils sont parvenus
" à un accord : aucune information sur la personne m'ayant remis les documents,
ma source directe, et des éléments de réponse d'ordre général sur les
qualifications de la personne qui a sorti les documents de la DGSE ", la source
indirecte.

Selon M. Dasquié, le substitut du procureur chargé de l'affaire, lui aurait, au
téléphone, " confirmé le marché : détention provisoire ou un aveu ". Le
procureur de Paris a démenti cette version. Reste que M. Dasquié y a cru, et l'a
fait noter par le juge d'instruction : " Lors de ma garde à vue, j'ai reçu
plusieurs interventions consistant à me demander de ne pas me prévaloir des
dispositions qui me permettent de protéger mes sources. Mes interlocuteurs m'ont
indiqué que si je me prévalais de façon trop ferme de l'article 109 du code de
procédure pénale, je serai placé en détention provisoire. "

Le journaliste a finalement répondu, à 16 h 45, sur un petit feuillet à la
question de la DST qui lui demandait qui lui avait donné la compilation de notes
: " C'est Jean-Claude Cousseran, ex-directeur de la DGSE, qui l'a remise à ma
source à l'automne 2006. Ma source me l'a communiquée quelques jours plus tard.
" M. Cousseran, que M. Dasquié n'a jamais rencontré, est ministre
plénipotentiaire hors classe, et multiplie pour le Quai d'Orsay les missions en
Iran, au Liban, en Syrie. La DST a paru se satisfaire de la réponse.

© Le Monde, le 2 février 2008 : Une lettre de Jean-Claude Cousseran

A la suite de notre article sur la mise en examen du journaliste Guillaume
Dasquié (Le Monde du 29 janvier), nous avons reçu de Jean-Claude Cousseran,
ancien directeur de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la
mise au point suivante :

Je n'ai pas à commenter les conditions dans lesquelles les déclarations de M.
Dasquié ont été recueillies, mais je veux dire que ce qu'il a déclaré me
concernant est faux, absolument sans fondement, et relève tout à la fois de la
diversion et de la malveillance à mon égard.

Je n'ai jamais remis à personne la moindre note de la DGSE, encore moins une "
compilation " parce que je ne fais pas ce genre de choses et pour la simple
raison que je n'ai conservé, après mon départ du service en 2002, aucun document
concernant les activités de l'administration que j'ai eu l'honneur de diriger.