Attentat de Karachi une affaire d’Etat

[Cette enquête a été initialement publiée dans Liberation datée du 19 juin 2009]

Le 8 mai 2002 à Karachi, onze salariés des arsenaux de la marine française sont tués dans l’explosion du bus qui les transporte. Un montage financier pourrait être à l’origine de l’attentat?.

Le 8 mai 2002 à Karachi, onze salariés des arsenaux de la marine française sont tués dans l’explosion d’un bus les transportant vers leur lieu de travail, alors qu’ils coopéraient à la construction de sous-marins au Pakistan. Le dispositif employé – une Toyota piégée avec un explosif sophistiqué – allait convaincre les enquêteurs de la DNAT (Division nationale antiterroriste) que la France et la DCN étaient directement visées ce jour-là, comme «Libération» le révélait le 27 novembre dernier. Un montage financier est-il à l’origine de l’attentat ?

L’attentat contre un bus de la DCN (Direction des constructions navales) à Karachi a-t-il été la conséquence de pots-de-vin que la France n’a pas versés à des officiers supérieurs pakistanais dans le cadre d’un contrat d’armement ? «C’est une piste cruellement logique», affirment les magistrats en charge de l’instruction, Marc Trévidic et Yves Jannier. Des mots prononcés devant les familles de victimes, jeudi après-midi dans les locaux du tribunal de Cherbourg, lors d’une audition destinée à informer les parties civiles.

Cette instruction, débutée par Jean-Louis Bruguière dès le 8 mai 2002, rassemble aujourd’hui près de 1200 documents cotés. Des dizaines de pièces concernent l’accord industriel lui-même, aux termes duquel ces Français travaillaient à Karachi. En particulier une copie du contrat, document de 162 pages, signé le 21 septembre 1994 entre la DCN, la Sofrantem (son partenaire dédié) et l’Etat pakistanais.

L’ingénierie financière de cet accord incombant à une structure spécialiste, la Financière de Brienne. Ce contrat, négocié et conclu en pleine campagne présidentielle, a provoqué d’intenses tractations financières. Notamment dans les sallons de réunion de l’hôtel Prince de Galles, où des familiers des marchés de l’armement, tels Ziad Takieddine et Ali ben Moussalam, rencontraient le vice-président de DCN-International, Emmanuel Aris, et parfois Renaud Donnedieu de Vabres, alors conseiller du ministre de la Défense, François Léotard.

En marge de ces palabres, des arrangements ont été convenus pour rémunérer certains intermédiaires. Ainsi, le 30 juin 1994, Emmanuel Aris signait un contrat avec une société panaméenne, Mercor Finance, représentant Ziad Takieddine, lui assurant 4% du contrat.

La neuvième clause du contrat interdit à Takieddine de reverser une partie de ces fonds à des résidents français ou à des sociétés françaises ; mais ne dit rien de la partie pakistanaise (à cette période, le versement de commissions à l’étranger pour «faciliter» les contrats n’était pas illégal). Au regard des pièces ainsi rassemblées, l’hypothèse d’un attentat en relation avec le paiement de ces commissions est l’une de celle retenue par l’instruction.

Cet article est également accessible ici, sur le site de liberation.fr