Bercy frileux sur la vente des sous-marins au Pakistan

[Cette enquête a été initialement publiée dans Liberation datée du 25 novembre 2010]

"Je ne suis pas au courant des contrats de sous-marins négociés à l’époque, avec un président qui s’appelle M. Mitterrand, un Premier ministre qui s’appelle M. Balladur, avec un ministre de la Défense qui s’appelle M. Léotard", affirme Nicolas Sarkozy. Difficile de concevoir que celui qui fut ministre de Budget du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 ignorait tout d’un contrat de 5,4 milliards de francs signé par un groupe d’armement contrôlé par l’Etat.

En revanche, plusieurs témoignages et documents indiquent que le ministère du Budget de Nicolas Sarkozy s’est toujours opposé à cette vente intervenue le 21 septembre 1994. Contrairement à l’Elysée et au ministère de la Défense. Rendant déraisonnables les accusations plaçant Sarkozy «au cœur de la corruption» dans ce dossier.

Dans le rapport de la mission d’information parlementaire sur l’attentat de Karachi, le rédacteur, Bernard Cazeneuve, député socialiste, observe que "Patricia Laplaud, fonctionnaire de la direction du Budget, a confirmé l’engagement du chef de l’Etat [François Mitterrand, ndlr] en faveur de ce contrat". "Je sais, par les nombreux télégrammes diplomatiques dont j’ai reçu copie, que le président de la République s’était beaucoup impliqué", a-t-elle déclaré aux parlementaires.

Hostile
Tandis que, selon elle, le ministère du Budget se montre alors hostile. Patricia Laplaud confirme : "Le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense voulaient ce contrat, pas le Budget". Elle a, par ailleurs, précisé avoir fait de nombreuses notes sur ce sujet à ses deux ministres, Edmond Alphandéry, ministre de l’Economie et des Finances, et Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, et indiqué que "les deux ministres étaient d’accord avec la ligne proposée par leur administration", écrit Cazeneuve.

Selon ce rapport, le ministère de la Défense exigeait cette vente, en dépit des incertitudes financières : "Le point de vue était tout autre à Bercy : Sur un plan technique, la direction du Budget a toujours été opposée au contrat de vente de sous-marins au Pakistan. Nous étions en effet inquiets de la situation financière de ce pays, a expliqué à la mission Mlle Laplaud".

Note
La méfiance du Budget à l’égard de l’opération commerciale au Pakistan est corroborée par un arrêt de la Cour des comptes daté du 28 octobre 2005. Sanctionnant justement les déséquilibres financiers observés sur le contrat des sous-marins. Les magistrats financiers notent : "Aucune information sur des risques financiers liés à la vente n’a été portée à la connaissance du ministre des Finances en réponse aux inquiétudes de ce dernier, exprimées lors des réunions interministérielles de juin et juillet 1994", soit trois mois avant la signature.

À cette période, le ministère du Budget de Nicolas Sarkozy suit en réalité l’analyse de son prédécesseur socialiste, Martin Malvy. Comme l’indique une note adressée à Matignon par cette administration, mais datée du 23 mars 1993, peu avant la nomination d’Edouard Balladur. Malgré ces réticences, le contrat du 21 septembre 1994 est validé par une commission spécialisée, la CIEEMG, sous l’autorité du Premier ministre.

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